Autobiographie et neurologie, que dit la science ?
- charlottenicod
- 29 juil.
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Dernière mise à jour : 30 juil.

L’apport des exercices autobiographiques en orthophonie dans la prise en charge des patients présentant des troubles neurologiques
1.Introduction
Les troubles neurologiques tels que les AVC, les traumatismes crâniens, les états de conscience minimale (ECM) ou les maladies neurodégénératives, affectent les capacités langagières, mnésiques, identitaires et communicationnelles des patients. L’orthophonie, en tant que discipline de soin centrée sur la réhabilitation de la communication et du langage, joue un rôle clé dans leur accompagnement. Dans ce contexte, les approches utilisant l’autobiographie — qu’il s’agisse de récits oraux, de cahiers de vie ou de supports multimodaux — suscitent un intérêt croissant. Cet article propose une revue croisée de la littérature scientifique et des mémoires d’orthophonie portant sur l’utilisation de la mémoire autobiographique dans les prises en charge de patients neurologiques.
2.I. Données issues de la littérature scientifique
1.1 Le rôle de la mémoire autobiographique dans la conscience de soi et la communication
La mémoire autobiographique est définie comme la capacité à se souvenir d’expériences personnelles vécues, et constitue un pilier de l’identité et de la communication (Conway & Pleydell-Pearce, 2000). Chez les patients atteints de pathologies neurologiques, sa préservation partielle ou son éveil peut contribuer à maintenir un sentiment de continuité du soi. (Addis & Tippett, 2004).Dans le cas des patients en état de conscience minimale, des études en neurosciences (Perrin et al., 2006 ) ont montré que des stimuli autobiographiques (voix de proches, musiques familières, photographies personnelles) activent davantage les réseaux corticaux que des stimuli neutres, suggérant une meilleure mobilisation de l’attention et de la conscience.
1.2 Réminiscence, langage et cognition
Les thérapies de réminiscence sont des interventions psychosociales qui consistent à évoquer des souvenirs passés, souvent à l’aide de supports sensoriels (photographies, objets, musique), afin de renforcer l’identité, de stimuler les capacités cognitives et de favoriser les échanges sociaux. Ces interventions ont démontré des effets positifs sur la communication, l’humeur et les fonctions cognitives légères (Woods et al., 2018). Dans leur revue, El Haj et al. (2017) soulignent que la mémoire autobiographique joue un rôle central dans le maintien du sentiment d’identité, la régulation émotionnelle et la participation sociale chez les patients Alzheimer. Ils suggèrent qu’en soutenant la récupération de souvenirs personnels, on peut améliorer la cohérence du récit de soi et favoriser l’engagement communicationnel. Chez les patients aphasiques, l’utilisation de récits personnels engage simultanément les dimensions linguistiques, pragmatiques et identitaires. Le programme NARNIA, présenté par Whitworth et al. (2015), propose un cadre narratif centré sur la personne permettant de renforcer la cohérence discursive et l’identité narrative des patients aphasiques. Bien qu’il ne repose pas sur un protocole autobiographique standardisé, il partage des objectifs similaires de réhabilitation par le récit. En single-case, Dipper et Cruice (2018) ont observé une augmentation de la production de verbes et une amélioration de la macrostructure discursive après un protocole explicitement autobiographique (LUNA). Plus récemment, Charalambous et al. (2024) ont mis en évidence, à travers une intervention de groupe co-produite, une amélioration de la macrostructure narrative, des capacités fonctionnelles de communication et de la qualité de vie des patients aphasiques.
3.II. Données issues de mémoires d’orthophonie
2.1 Patients en état de conscience minimale
Dans son mémoire, Laura Hurtado (2018) montre qu’une patiente en ECM manifeste davantage de signes d’éveil et de communication lorsqu’elle est exposée à des sollicitations multisensorielles autobiographiques, à condition qu’elles soient précédées d’un moment de silence. Ce résultat corrobore les données neuroscientifiques sur l'effet activateur de la mémoire autobiographique.
2.2 Patients aphasiques chroniques
Aurélie Schirru (2021) a exploré l’impact du récit autobiographique sur deux patients aphasiques chroniques non fluents. Son étude met en évidence des progrès sur l’accès lexical, la structuration syntaxique et le discours, notamment grâce à la charge affective et identitaire des contenus évoqués. L’accompagnement de l’aidant a joué un rôle facilitateur dans les échanges.
2.3 Patients atteints de la maladie d’Alzheimer
Bérangère Simon (2014) a comparé les effets d’un entraînement autobiographique épisodique versus sémantique chez 16 patients Alzheimer. L’étude conclut à une amélioration significative de la mémoire rétrograde, quelle que soit la modalité, et à une amélioration perçue des capacités communicationnelles selon les aidants. Le cahier de vie est apparu comme un outil de médiation efficace. En structurant les souvenirs dans un format visuel et accessible, ces outils soutiennent à la fois la mémoire autobiographique sémantique et la communication fonctionnelle.De même, Marie Huet (2014) a conçu des supports de communication personnalisés en lien avec la mémoire autobiographique (basés sur des situations familières au patient), en collaboration avec les familles. L’analyse des actes de langage en séance a montré une stimulation des interactions et un engagement plus marqué des patients dans l’échange.
4.Conclusion
L’ensemble des travaux analysés convergent vers un constat partagé : l’usage thérapeutique de la mémoire autobiographique, sous ses diverses formes, représente un levier pertinent dans les prises en charge orthophoniques de patients présentant des troubles neurologiques. Qu’il s’agisse d’un état de conscience altéré, d’une aphasie ou d’une maladie neurodégénérative, ces approches permettent d’atteindre à la fois des objectifs linguistiques, cognitifs, identitaires et relationnels. L’intégration d’outils comme le récit de vie ou le cahier de vie offre des perspectives intéressantes pour renforcer la motivation du patient, la qualité de la relation thérapeutique et le lien avec les proches. Il serait souhaitable que des protocoles expérimentaux plus larges permettent de valider ces pratiques dans les années à venir.
Bibliographie annotée avec accès direct
- Addis, D.R. & Tippett, L.J. (2004)Memory of myself: autobiographical memory and identity in Alzheimer's disease. Memory, 12(1), 56–74.PubMed Europe PMC+14PubMed+14ScienceDirect+14 
- El Haj, M., Antoine, P. & Kapogiannis, D. (2017)Autobiographical memory decline in Alzheimer’s disease: a theoretical and clinical overview. Ageing Research Reviews, 36, 58–66.PubMed ResearchGate+1Google Scholar+1DergiPark+6PubMed+6ResearchGate+6 
- Perrin, F., Schnakers, C., et al. (2006)Brain response to one’s own name in vegetative state, minimally conscious state, and locked-in syndrome. Archives of Neurology, 63(4), 562–569.DOI:10.1001/archneur.63.4.562PubMed ScienceDirect+13PubMed+13Paris-Lodron-University Salzburg+13 
- Woods, B., O’Philbin, L., et al. (2018)Reminiscence therapy for dementia. Cochrane Database of Systematic Reviews, 3:CD001120.DOI:10.1002/14651858.CD001120.pub3Cochrane research.bangor.ac.uk+2SCIRP+2discovery.ucl.ac.uk+2PubMed+11PubMed+11cochranelibrary.com+11SCIRP+3cochranelibrary.com+3cochranelibrary.com+3 
- Dipper, L. & Cruice, M. (2018)Language Underpins Narrative in Aphasia (LUNA): A pilot study. International Journal of Language & Communication Disorders, 53(3), 510–524.ResearchGate summary orcid.org+9ResearchGate+9journals.plos.org+9 
- Charalambous, M., Kambanaros, M., & Michaelides, M. (2024)The coproduction of a multilevel personal narrative intervention for people with aphasia in a community communication support group—A pilot study. Frontiers in Stroke, 4, article 1393676.Frontiers full text ktisis.cut.ac.cy+7Frontiers+7orcid.org+7 
Mémoires d’orthophonie
- Hurtado, L. (2018).Effets de sollicitations autobiographiques en orthophonie sur l’éveil et la communication d’une patiente en état de conscience minimale.https://bibnum.univ-lyon1.fr/nuxeo/nxfile/default/46a4a261-f077-412e-9a21-2b663aac9ce1/blobholder:0/Mo_2018_HURTADO_Laura.pdf?mimetype=application/pdf 
- Schirru, A. (2021).Effets du récit autobiographique sur les capacités langagières de patients aphasiques chroniques non fluents.https://publication-theses.unistra.fr/public/memoires/2021/MED/2021_SCHIRRU_Aurelie.pdf 
- Simon, B. (2014).Maladie d’Alzheimer et mémoire autobiographique : intérêts et limites d’une prise en charge individuelle médiatisée par un cahier de vie.http://petille.univ-poitiers.fr/notice/view/8442 
- Huet, M. (2014).Étude de l’influence de la mémoire autobiographique sur la communication de patients atteints de démences de type Alzheimer.https://hal.univ-lorraine.fr/hal-03870221v1/document 



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